Quels responsables pour quelle Eglise?
Normand Provencher (Ottawa) parle de son Eglise (catholique) et aborde des questions qui ne sont pas seulement importantes pour l'Eglise de demain du Québec, mais qui résonnent avec les préoccupations des églises évangéliques. Goli@s-news.fr
1. L'urgence de l'évangélisation
2. Être à l'aise dans la société moderne
3. Rendre crédible l'Église
4. Susciter un nouveau modèle de prêtre
5. Le leadership d'épiscope
Voici l'article tel qu'il a été publié sur Goli@s-news.fr le 17 juin:
Au cours de la présente année, l’épiscopat du Québec prendra un autre visage. Plusieurs nouveaux évêques seront nommés et quelques-uns changeront probablement de sièges. Dans les rencontres pastorales, on se permet de suggérer des noms selon sa perception des attentes et des besoins et surtout selon sa vision d’Église.
On est conscient toutefois qu’on ne peut faire plus et on le déplore. Selon le droit actuel, il revient au Pape de nommer les évêques. Le processus du choix des évêques est entouré de secrets. Même si les intervenants cherchent à favoriser le plus grand bien de l’Église, le déroulement de la procédure se fait dans le concret de la vie ecclésiale où se mêlent diverses visions théologiques et pastorales, des enjeux, des amitiés. Les évêques d’une même province ecclésiastique dressent une liste de prêtres, même religieux, les plus aptes à l’épiscopat. Ces listes, établies périodiquement, sont transmises au nonce. Lorsqu’un évêque doit être désigné, le nonce propose trois noms au Saint-Siège à partir de ces listes et à la suite d’une enquête sur les candidats possibles. Il consulte les évêques de la province ecclésiastique où se trouve le siège à pourvoir, le président de la conférence épiscopale, le collège des « consulteurs » et des prêtres et parfois des laïcs qu’il juge à propos de consulter. Pour mieux connaître les candidats, le nonce leur fait parvenir un questionnaire. Or quels sont les critères pour choisir les personnes consultées ? Quelle théologie et quelle vision du leadership pastoral reflète le questionnaire ? Quels sont les besoins et les urgences d’un diocèse ? Ces questions mériteraient d’être discutées sur la place publique. La démarche du choix des évêques se fait dans une grande discrétion, plus précisément sous le « secret pontifical ».
L’histoire de l’Église nous apprend que la question du choix des évêques n’a jamais été facile. Même si l’Église, de sa nature, ne fonctionne pas à la manière d’une démocratie, le temps n’est-il pas venu de s’inspirer de l’ancienne tradition et de tenir compte de l’ecclésiologie de communion, promue par Vatican II ? En conséquence, il faudrait établir de nouveaux mécanismes de consultation, permettant aux prêtres, aux diacres et aux fidèles de participer activement au processus du choix de leur évêque. Un peu d’imagination et d’audace suffirait à renouer avec la tradition la plus ancienne et la plus authentique. On oublie une maxime du droit romain d’usage courant dans l’Église ancienne : « Ce qui touche à tous doit être traité et approuvé par tous. » Dans l’Église des premiers siècles, la participation du peuple au gouvernement de l’Église et à la désignation de ses ministres est établie en principe. On peut lire dans un texte qui fait autorité, la Tradition Apostolique d’Hippolyte, vers 225 : « Qu’on ordonne comme évêque celui qui a été choisi par tout le peuple ». Saint Léon le Grand, pape de 440 à 461, l’atteste clairement en ces termes : « Celui qui doit présider à tous doit être élu par tous’. » Nul n’en doute, il existait déjà des pratiques autoritaires pour qu’on rappelle cette règle de participation. Il reste toutefois qu’on tenait à souligner le droit des fidèles dans l’exercice du pouvoir ecclésial.
Même si le processus actuel de la nomination des évêques et on pourrait ajouter, des prêtres dans les paroisses, ne donne pas de place à la participation des fidèles, il leur est toujours possible d’exprimer au moins leurs attentes. Dans ce bref article, je voudrais attirer l’attention sur quelques défis urgents que devront relever les évêques dans l’Église d’ici. Ces défis aident à mieux apprécier les aptitudes des candidats éventuels à l’épiscopat.
1. L’urgence de l’évangélisation
La transmission de la foi chrétienne est en panne. C’est un fait que personne ne peut nier. Un fossé se creuse et s’élargit à grande allure entre ceux et celles, de moins en moins nombreux, qui participent aux activités de la communauté chrétienne et tous les autres qui ont pris leur distance. On n’observe pas tellement de conflits, mais davantage la coexistence de deux mondes qui ne se rejoignent plus. La foi chrétienne a certes laissé sa marque dans les valeurs dont vit l’ensemble des gens d’ici. On a beau parler de justice, d’amour, de respect des autres et d’attention aux démunis, toutes ces valeurs se détachent peu à peu du christianisme. Sans lui, seront-elles demain des valeurs qui feront vivre ? On se rend compte que la « mémoire chrétienne » s’efface et qu’on est entré dans une ère postchrétienne. C’est dans ce contexte religieux et culturel que les évêques ont à exercer leur ministère. Transmettre la foi chrétienne, c’est faire connaître un message précis, mais surtout susciter l’adhésion libre et personnelle au Dieu que Jésus a fait connaître. On ne peut y parvenir sans « faire retentir » l’Évangile dans des mots et des pratiques susceptibles de rejoindre les gens. Ayant bien perçu cet enjeu, Jean-Paul II a promu à plusieurs reprises la « nouvelle évangélisation ». Quant à Benoît XVI, il reconnaît « que notre temps appelle véritablement une nouvelle évangélisation ; il faut proclamer un Évangile, avec sa grande rationalité immuable, mais aussi avec le pouvoir qui est le sien et qui dépasse la rationalité, afin qu’il reprenne place dans notre pensée et dans notre compréhension 2. » Pour réaliser cet objectif, il a créé, à la fin de 2010, le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation. Le prochain Synode des évêques portera sur ce thème. Dans le vaste chantier de l’évangélisation, les évêques d’ici ont un rôle tout particulier à exercer. Il est bon de rappeler que la responsabilité première de l’évêque est l’annonce de l’Évangile. Déjà Vatican II l’a fortement souligné : « Parmi les charges des évêques, la prédication de l’Évangile est la première » (Constitution sur l’Église, 25). L’évêque est donc un évangélisateur plus qu’un administrateur. Il doit être attentif aux formes possibles de l’évangélisation dans le contexte d’une société sécularisée et pluralistes. Le ministère épiscopal prend part à l’évangélisation par le témoignage silencieux d’une vie évangélique et par l’audace à prendre la parole. L’évêque doit être conscient toutefois qu’il ne peut pas exercer lui-même certaines formes d’évangélisation et de présence à la société. Il se doit donc d’encourager et de promouvoir la créativité des prêtres, des agents et agentes de pastorales et de tous les baptisés, hommes et femmes, qui font entendre et vivre l’Évangile d’une manière nouvelle et adaptée aux gens d’ici. Si on est vraiment convaincu de l’importance et de l’urgence de l’évangélisation, il se pourrait que l’on devienne plus lucide et même plus exigeant dans le choix des candidats à l’épiscopat. On devra tenir compte de leur vision de l’évangélisation et de leurs aptitudes à la promouvoir.
2. Être à l’aise dans la société moderne
En quelques décennies, la société d’ici est passée d’une mentalité profondément religieuse et dominée par l’Église à une mentalité largement sécularisée et indépendante de l’Église. Comme toutes les sociétés occidentales, le Québec est devenu moderne. Les gens qui ont travaillé à l’étranger durant plusieurs années et qui reviennent ne reconnaissent presque plus le pays qu’ils ont quitté jadis et ils sont tentés de remplacer la réalité présente par le souvenir du passé, souvent idéalisé. Nous vivons dans un monde nouveau qui est devenu le lieu d’insertion de l’Église. Sans être naïfs, les catholiques n’ont pas à mépriser la société moderne et les avancées de la science et de la technologie. À Vatican II, l’Église a vécu un grand moment d’accueil de la société moderne et elle a compris que c’est là dorénavant qu’elle doit se construire. Au lieu de considérer la modernité comme un obstacle, pourquoi ne la considérons-nous pas comme une chance, mieux, une grâce, et une nouvelle voie d’avenir pour la foi chrétienne en la provoquant à dévoiler plusieurs de ses virtualités cachées ou paralysées ? Il y a des catholiques qui ne sont pas à l’aise dans la société moderne et ils optent pour le maintien de la doctrine et des pratiques traditionnelles, refusant non seulement tout dialogue avec la société moderne mais aussi toutes les nouvelles interprétations de la Bible et des dogmes que nous permettent la recherche actuelle. Au contraire, il devient urgent que la foi chrétienne fasse entendre sa voix et qu’elle collabore avec la science, la politique, l’économie et les arts à faire naître un nouveau projet d’humanité où l’Évangile a beaucoup à lui apporter. Pour devenir présente dans les lieux de débat et de prise de décision, l’Église d’ici a la mission d’aménager des espaces nécessaires à la délibération réfléchie et à la discussion responsable. Elle ne doit pas se laisser enfermer dans le « religieux » ; au contraire elle a la responsabilité de susciter des penseurs, des artistes et des communicateurs qui pourraient, par leurs compétences, leurs œuvres et leur présence dans la société, faire entendre et faire voir l’Évangile. Après avoir reconnu la nécessité d’annoncer l’Évangile dans la culture actuelle, il est nécessaire que certains se consacrent entièrement à cette nouvelle mission. Il ne serait pas réaliste d’imaginer que tous les évêques ont les aptitudes et le charisme d’être des évangélisateurs dans la modernité. Il leur revient cependant de promouvoir un regard évangélique sur la société moderne, de faire des choix dans les projets pastoraux, de cibler les plus évangélisateurs et de voir à leur mise en œuvre. Dans le choix des candidats à l’épiscopat dans l’Église d’ici, on devra tenir compte de leur vision de la société.
3. Rendre crédible l’Église
Beaucoup souffrent d’une certaine allergie à tout ce qui est religieux ou d’Église, comme s’ils avaient eu une indigestion pour en avoir trop consommé dans le passé. Quant aux plus jeunes, ils ne connaissent pas l’Église d’autrefois et ils sont loin de celle d’aujourd’hui. Même si elle a beaucoup changé depuis quelques décennies, ils s’en méfient ou ils l’ignorent tout simplement. Pourtant l’Église au service des démunis, celle qui défend la dignité de la personne, celle qui rappelle la valeur sacrée unique de toute vie humaine ne fait pas la une de la presse écrite ou télévisuelle. On prêtera plutôt attention aux critiques concernant des situations du passé, comme le rôle joué par des gens d’Église dans les orphelinats ou encore les accusations de pédophilie portées contre certains membres du clergé. Pour ces raisons et bien d’autres, l’Église a perdu beaucoup de sa crédibilité. Quand une personne ou une institution n’est plus crédible, elle est vite oubliée et on s’intéresse à autre chose. Sans s’attendre à ce qu’elle soit en tête de liste des sondages, on doit admettre qu’elle est profondément handicapée pour annoncer le message évangélique. Pour beaucoup, l’Église n’apparaît pas à la hauteur de son message. C’est une situation qui pèse lourd pour son avenir. Sans céder à aucun relativisme doctrinal, la fidélité au message de Jésus et à la tradition de l’Église ne consiste pas à répéter des formules héritées du passé, mais plutôt à faire un effort constant d’actualisation créatrice. Pour être crédible, l’Église est appelée à revoir son enseignement pour le rendre plus signifiant et ainsi plus acceptable aux hommes et aux femmes d’aujourd’hui. Un « grand ménage du printemps » est à faire dans sa doctrine, ses façons de célébrer la foi et ses organisations. Pour devenir crédible, il est nécessaire qu’elle devienne « une Église de l’écoute ». Plus que jamais, l’Église a besoin de l’expérience, de l’intelligence et de l’imagination de tous ses membres. C’est pourquoi les autorités ne peuvent plus tenir un discours sur le mariage et la procréation sans avoir d’abord consulté et écouté les couples chrétiens qui vivent la sexualité. Elles ne peuvent plus se prononcer sur la place des femmes dans les ministères sans avoir écouté celles qui exercent des services avec compétence et dévouement depuis des années et sans avoir recueilli les commentaires des communautés. Les autorités ne peuvent plus s’engager dans les aménagements pastoraux sans informer les gens et sans savoir ce qu’ils pensent et veulent. Elles ne peuvent plus refuser l’absolution collective, sans tenir compte de l’expérience concrète des pasteurs et des fidèles qui ont vécu cette pratique durant des années comme une grâce de paix et de réconfort. Bien des catholiques trouvent étrange qu’on soit arrivé à penser que seuls des hommes célibataires sont aptes à représenter le Christ Bon Pasteur et évoquer l’initiative de Dieu pour le salut de l’humanité. Nous faisons l’expérience depuis plusieurs années que des femmes incarnent aussi bien que des hommes, et parfois mieux, les attitudes du Christ Pasteur, maintenant ressuscité et vivant au-delà des déterminismes de la sexualité. Pour rendre l’Église crédible, il est urgent que les autorités aient le courage de libérer l’Évangile, cette Bonne Nouvelle de la part de Dieu, d’un langage et de façons de faire et de célébrer la foi d’un autre âge et qui ne répondent plus aux attentes des gens d’aujourd’hui, du moins à la majorité3. Plus l’Église témoignera de ce qui constitue le cœur de l’Évangile, plus elle sera crédible et écoutée. Une période de dépouillement, de pauvreté et même d’exil est nécessaire pour retrouver l’essentiel de la foi chrétienne. C’est ce que nous vivons. De ceux qui exercent le ministère épiscopal, nous attendons lucidité, courage et confiance en ce Dieu qui ne cesse pas de vouloir le salut de tous les humains.
4. Susciter un nouveau modèle de prêtre
Le nombre de prêtres est en chute libre depuis quarante ans. La situation présente est alarmante et il n’est pas exagéré de parler d’un effondrement prochain d’un système qui a fait son temps et qui n’est plus adapté à la société d’aujourd’hui. Après avoir reconnu ce fait, il est urgent de trouver des solutions pour que l’Église puisse assurer sa mission. C’est jouer à l’autruche que d’adopter des solutions qui comblent momentanément les vides, mais qui ne préparent pas l’Église de demain. Je suis toujours consterné de constater que les autorités d’ici et de Rome ne prennent pas d’initiatives sérieuses devant ce tarissement des vocations presbytérales et, surtout, qu’elles ne profitent pas de l’occasion pour repenser la question des ministères et la théologie de la vocation. Les quelques initiatives mises de l’avant et tout un discours sur la vocation entretiennent encore chez certains l’espoir d’un retour des vocations presbytérales, comme celles de jadis, et elles empêchent de trouver des solutions nouvelles qui permettraient à l’Église de remplir sa mission. On maintient le statu quo par fidélité à la tradition, manière facile de ne pas prendre les décisions requises par la situation présente. L’institution l’emporte sur le souci d’assurer la vitalité chrétienne du peuple croyant. Avec les années, j’ai acquis la conviction que l’Église ne peut plus se permettre d’appeler au ministère presbytéral uniquement des hommes, de préférence des jeunes, qui acceptent de vivre le célibat. Pour répondre aux besoins actuels, le bassin de candidats aptes au presbytérat est devenu trop limité et trop pauvre. L’Église se prive ainsi, du moins pour le moment, de ressources qui seraient nécessaires pour exercer ses activités pastorales. On en vient à juger le candidat au ministère presbytéral davantage sur ses aptitudes au célibat que sur ses capacités à animer et à présider une communauté. Pour remédier à la rareté des prêtres, je suggère aux évêques d’ici de relire avec attention la première lettre à Timothée (3, 2-8) qui souligne les qualités requises pour la « présidence » d’une communauté. En substance, Paul affirme que les candidats aux ministères ordonnés devraient être des personnes mûres, responsables et riches d’une expérience de vie. À travers les problèmes du recrutement et de la formation des prêtres, c’est toute la question de la mission actuelle de l’Église qui est posée. Nos communautés chrétiennes ne donnent plus de prêtres parce qu’elles n’éprouvent plus le désir de se développer selon un certain modèle d’Église hérité du passé. La pénurie de prêtres presse les autorités actuelles de repenser de façon inédite et adaptée à la société d’aujourd’hui les questions de l’animation des communautés et de l’appel aux ministères. Faire venir des prêtres d’autres pays est une solution temporaire et facile qui ne me semble pas préparer l’avenir de l’Église d’ici. On peut observer que là où les évêques ne cherchent pas à « remplir les vides » en important du clergé étranger, les communautés sont amenées à se prendre en charge elles-mêmes et à inventer un type de fonctionnement beaucoup plus participatif. L’image du prêtre s’en trouve évidemment changée, ce qui n’est pas sans déstabiliser plus d’un d’entre eux et aussi bien des fidèles. Les évêques sont conscients de la situation présente, mais ils n’osent pas prendre de décisions, sous prétexte d’assurer la communion avec Rome. Oublient-ils donc qu’ils sont eux aussi, dans leurs diocèses respectifs, des successeurs légitimes des Apôtres et qu’ils ont la responsabilité de donner à leurs communautés les ministres ordonnés auxquels elles ont droit ? On ne peut plus se permettre de maintenir une conception du prêtre qui nous vient d’un contexte culturel et ecclésial d’une époque révolue. En tenant à conserver ce modèle traditionnel, avec un léger vernis d’adaptation, on ne fait que retarder l’effondrement de l’Église d’ici. Mettre en œuvre une façon inédite d’exercer le ministère est tout un défi pour les évêques d’aujourd’hui et d’ici.
5. Le leadership d’épiscope
Dès les débuts de l’Église, on donne le nom d’épiscope au principal responsable de la communauté. Le terme est traduit parfois par « surveillant », mais il serait plus exact de traduire par « celui qui voit à ». En effet le rôle de l’épiscope est de voir à la vie et la croissance de la communauté qui lui est confiée, en la dotant des institutions et des ministères nécessaires, en étant attentif à ce que personne ne soit oublié et finalement en s’assurant que l’Évangile soit annoncé et interprété dans la fidélité aux Apôtres dont il est le successeur. En bref, voilà le rôle de l’évêque dans l’Église. Selon le vocabulaire d’aujourd’hui, il s’agit donc d’une fonction de « leader » qui dépasse celle de l’administrateur. Le leadership épiscopal s’exprime dans la promotion et la mise en œuvre d’une vision de la mission de l’Église, de la paroisse et des divers ministères. L’évêque doit tenir compte des besoins et aussi des ressources du personnel engagé dans la pastorale. Plus ses objectifs sont clairement définis, plus il est en mesure de mettre en œuvre les services les plus appropriés et de placer les membres de son équipe pastorale là où ils pourront le mieux servir et être heureux. Son leadership ne s’exerce pas de haut et en solitaire ; au contraire, il a besoin des autres et il doit apprendre à consulter diverses personnes et non seulement celles qui pensent comme lui, autrement sa perception du réel sera biaisée par certains a priori, par sa théologie, parfois par des préjugés. Il s’agit d’un leadership de participation en vue d’une pastorale d’ensemble. Dans le choix d’un candidat à l’épiscopat, on devra toujours vérifier sa vision de l’Église, ses aptitudes au leadership pastoral et son expérience de la communication et de l’animation. L’évêque sans son presbyterium ne peut pas remplir la mission que l’Église lui confie. L’un de ses premiers soucis est de bien connaître ses prêtres et de les aimer, de même que toutes les personnes engagées dans la pastorale. Ils sont ses plus proches collaborateurs. Lors de sessions, retraites et rencontres, bien des prêtres m’ont fait part de leurs souffrances et de leurs déceptions de ne pas être compris et appréciés de leur évêque. Leurs témoignages rempliraient plus d’une page. L’évêque se doit donc de rencontrer ses prêtres, de s’informer lui-même de leurs difficultés, de leurs réussites pastorales, de leurs projets, de leur santé et de leur vie spirituelle et intellectuelle. Certains évêques n’ont pas fait l’expérience d’être curé de 4 ou 5 paroisses, de travailler avec des laïques et des comités, de présider dans une même fin de semaine funérailles, mariages, baptêmes et messes dominicales. Pour être évêque, il est requis de savoir remercier ses prêtres, de les féliciter à l’occasion, de les encourager, de leur parler tout simplement comme on parle à un proche ou un ami. N’oublions pas qu’il s’agit du leadership d’un pasteur dans un contexte ecclésial qui est de plus en plus difficile et même inédit. C’est tout un défi à relever. Et on peut imaginer qu’un tel leadership épiscopal assure un avenir prometteur à l’Église.
Pour conclure...
Bien d’autres défis attendent les évêques dans l’Église d’ici : les rapports avec la Curie romaine, la collégialité, le souci de toutes les Églises, l’œcuménisme, les finances dans une Église en déclin, la montée des Églises évangéliques et des sectes, l’accueil des immigrants, le dialogue avec les autres religions, l’insertion de l’Église dans la société et la justice sociale. Il est évident que tous ces défis ne peuvent être relevés seulement par les évêques. On attend beaucoup trop d’eux et aussi du Pape. N’est-ce pas une manière facile de ne pas prendre au sérieux ses propres responsabilités ? Il est vrai que nous avons été éduqués à tout demander et à tout attendre des autorités. En relisant l’Exhortation post-synodale Pastores Gregis du pape Jean-Paul II parue en 2003, il est éclairant de constater que l’introduction est consacrée à l’espérance (nos 3-5). Il revient à la mission de l’évêque « d’être prophète, témoin et serviteur de l’espérance ». Comment ? L’Exhortation précise : « En se comportant comme un père, un frère et un ami de tout homme, il sera auprès de chacun une vivante image du Christ, notre espérance ». Et elle poursuit en ces termes : « C’est ce visage que nous devons fixer afin d’être toujours davantage ministres de l’Évangile pour l’espérance du monde, nous faisant en cela aussi modèles pour le troupeau que le Pasteur des pasteurs nous a confié ». L’espérance n’est pas l’optimisme. Elle n’est pas une affaire de tempérament mais de foi, car elle repose sur la confiance en l’amour invincible de Dieu, dans la réalisation de ses promesses. Elle s’appuie sur la foi en la résurrection de Jésus. Il est devenu nécessaire et urgent que le ministère épiscopal puisse aider tous les baptisés à retrouver confiance en Dieu mais aussi en eux, dans les autres et dans l’avenir des communautés chrétiennes. En terminant, il est bon d’entendre les conseils que l’évêque retraité d’Autun en France, Mgr Armand Le Bourgeois, adressait à l’un de ses confrères nouvellement ordonné : Tout d’abord qu’il prenne au sérieux son ministère et sa responsabilité personnelle dans le collège épiscopal et par rapport à son chef. Il n’est pas un simple « préfet ». Par contre, qu’il ne prenne jamais au sérieux sa personne ! Qu’il sache écouter inlassablement, qu’il écoute attentivement les divers conseils qui l’entourent et qu’en toute hypothèse il ne décide jamais seul, qu’il ait une confiance aveugle en l’Esprit Saint qui parle parfois par la voix des plus petits, qu’enfin il n’oublie pas que l’Église n’est pas une fin en soi mais une étape jusqu’à la parousie.
Normand Provencher, o.m.i. Université Saint-Paul, Ottawa