Le pasteur - une espèce menacée
Le pasteur, qui en voudra encore?
Il y a un risque réel qu'après avoir atteint le commun des mortels, puis le monde des affaires, le coronavirus ne s'attaque à la fonction du pasteur.
J'espère me tromper.
Ce ne sont pas tant les personnes physiques, que la fonction même de pasteur qui est menacée.
Observons l'érosion en cours.
1. Personne ne vient nous écouter à l'église. J'ai beau être sur YouTube. J'entends les ouailles encourager à consommer des cultes mis en ligne ailleurs que sur ma chaîne.
2. On ne peut plus faire de visites - personne ne veut me voir; des appels téléphoniques suffisent. Et en un après-midi le tour est fait.
3. On ne peut plus organiser de rencontres (pour hommes, monitrices, jeunes, d'instruction religieuse). Même les rencontres de prières s'organisent sans moi.
4. On ne peut même plus passer la journée dans des colloques.
Et même les rencontres de comités pour lesquelles il fallait traverser la moitié du pays et auxquelles il fallait absolument aller (car imposé par la fédération, sinon la communion était perdue; et il fallait toujours manger ensemble) se vivent en moins de temps sur Zoom. Et même sans moi.
5. Dans les petites églises, le pasteur servait au moins à préparer la sainte cène et la machine à café puis l'appéro. Et pour finir, après avoir salué tout le monde (un must, sinon l'eglise périt) et prié avec la personne qui ne voulait pas partir, il rangeait un peu la salle. Tout cela aussi est ter-mi-né.
6. On n'a même pas besoin de pousser la collecte. Les gens donnent par virement sans la pression du haut de la chaire.
Bilan: avec tout ce que le pasteur ne peut plus faire, on se dit que c'est la catastrophe, que l'église va mourir.
En tous les cas l'église va beau-o-o-o-coup souffrir!
Cest une vérité à laquelle nous les pasteurs nous tenons sans imaginer un instant qu'elle est probablement d'origine apocryphe.
Mais le plus terrible pour le pasteur sera de voir dans six mois, lorsque la vie à peu près normale aura reprise, que son église se porte même mieux qu'avant le virus.
On pourrait dire "gloire à Dieu:"
Mais ce sera difficile pour le pasteur, car la crise d'identité et de vocation le frappera durement.
Il faut prévoir dès aujourd'hui des possibilités de relations d'aide pour pasteur.
Mais il n'en sera rien.
- Car le pasteur cachera sa dépression.
- Ou il démissionnera.
- Ou l'église se dira: mais on a fait sans pasteur pendant six mois. Et si on prolongeait le confinement du pasteur?
Et un dernier avertissement:
Si par malheur toi, pasteur, tu pratiques le réseautage et que quatre ou cinq églises préparent à tour de rôle le culte sur YouTube ou FB, les églises auront la preuve que trois des quatre pasteurs sont de trop.
J'espère me tromper.
Mais je crains pour les pasteurs les plus jeunes, tous ceux qui ont moins de 65 ans.
Ce sont des personnes à risque pour le temps de l'après corona.
Une espèce qui aura besoin de protection.
Certains diront que de toute manière, vu la crise des vocations, il n'y aura bientôt plus assez de pasteurs pour toutes les églises.
La crise actuelle nous montrerait alors que ce n'est pas la fin des églises, mais que le temps du pasteur-sharing est venu.
Commentaires
Une étudiante en sociologie, pour un séminaire, me soumettait un questionnaire dont le dernier point m'a inspiré l'envolée lyrique suivante (pour la petite histoire, un collègue pasteur a publié cette réponse dans son journal d'église ! c'était en 2014, soit l'an -6 avant le Coronavirus !):
-La question: "Point 11. Pour expliquer votre métier à des personnes non chrétiennes et occidentales, comment le qualifieriez-vous en empruntant les terminologies suivantes ?
- Théologien
- Bibliste
- Universitaire
- Praticien
- Fonctionnaire de Dieu
- Gestionnaire du sacré
- Travailleur social
- Spécialiste de l’âme
- Expert des relations
- Psychologues
- Manageur d’une entreprise qui serait la paroisse
- D’autre termes vous sont-ils nécessaires, lesquelles ?"
Ma réponse: "Cette dernière question est très belle, et inspirante ! Elle me rappelle une question similaire qu'on posait à une mère au foyer (oh ! La drôle d'expression!), lors d'un pique-nique où d'autres femmes cadres parlaient de leurs professions si passionnantes. Cette jeune femme, confinée à ses casseroles, à son ménage, et dévouée à l'éducation de ses enfants, a eu une inspiration comme on a une bouffée d'adrénaline après un coup de fouet, et elle a simplement dit : « Vous voulez connaître mon job ? Et bien je suis coordinatrice de projet et chargée de recherche dans une PME active dans un programme pluridisciplinaire de développement de l'enfance, ce qui nécessite de constamment veiller à ma formation continue, notamment dans les domaines de la psychologie, de la médecine, du droit, de l'informatique, des relations humaines, du management. »
"Comment répondre à votre question, sans gâcher le mystère d'une fonction qui côtoie le divin ? Un peu comme pour la « femme au foyer », qui échappe à toute définition, mais dont la fonction, et la présence sont vitales, il y a de l'insaisissable et de l'indéfinissable, dans le ministère pastoral. Mais il y a du tragique aussi : car on sait partout la crise des vocations. Et se présenter comme pasteur suscite de moins en moins de respect, de plus en plus de mépris, de désintérêt ou d'incompréhension.
"Alors pour expliquer mon « métier », il y a un peu de tout ce que vous mentionnez : le théologien, le sociologue, le formateur, le fonctionnaire de Dieu, etc... ; on pourrait dire aussi animateur de paroisse, conseiller en spiritualité chrétienne, etc....
"Votre liste pourrait aussi inclure la prière et la méditation, elles constituent ce métier aussi. Mais qu'est-ce que la prière ? Et si j'ai passé une heure en contemplation devant un coucher de soleil, une fresque ou une sculpture, est-ce une heure professionnelle, qui compte dans mon horaire professionnel ? Si je médite longuement un passage biblique, un commentaire, ou la pensée d'un sage, suis-je en processus de formation continue, ou en train de travailler ?
Lorsque je tiens la main d'un mourant solitaire, à l'hôpital, quel est mon métier ? Les heures bouleversées où je devrai ensuite seul digérer dans la prière ce passage de vie à trépas, est-ce du temps à prendre sur mon horaire professionnel, ou mes loisirs ?
"Alors, oui, il y a, dans mon métier, un peu de la théologie, de la Bible, de l'Université ; il y a un peu de travail social, de la psychologie, du management d'entreprise.... Mais il y a aussi tellement infiniment plus ! Et des éléments tellement insaisissables, impossibles à exprimer....
"Être pasteur, en somme, il faut que cela reste mystérieux et indescriptible !
J'ai un frémissement et les larmes me montent aux yeux en pensant à tout ce qu'est le ministère pastoral et qu'on ne pourra jamais transmettre à celles et ceux qui n'y sont pas... et qui ne nous comprennent pas, ou qui tentent de nous enfermer dans les fioles d'une science qui ne sent pas le parfum de la passion, de l'amour et de la souffrance.
"Il y a le tragique d'une fonction en voie d'extinction. Il y a le danger de ceux qui sont pasteurs là où la foi chrétienne est persécutée. Il y a le drame de ceux de mes collègues qui ont finalement cédé, et qui ont cru qu'on pouvait cesser d'être pasteur. Désormais, ils vendent du pain, ils gèrent les ressources humaines ici ou là, ils conduisent un camion, ou ils creusent des tranchées.
Je ne sais pas très bien comment expliquer mon métier, finalement. Mais faut-il expliquer un coucher de soleil, le frémissement du vent dans les arbres, le scintillement d'une goutte d'eau qui perle sur un lys ?
"Pour revenir alors à votre liste, et pour en finir avec mon envolée lyrique,
je trouve votre liste incomplète ! Ajoutez-y :
- Orant
- Poète
- Reporter
- Contemplatif
- Ecrivain
- Musicien
- Conteur
- Voyageur
- Etc...
".... et je pense alors qu'on approchera un petit peu plus de la définition improbable de ce métier qui n'en est pas un, de cette fonction qui n'en a pas, de cette profession d'amateur... mais amateur au sens propre : celui qui aime ! Et aime servir ! (Matthieu 20.25-28)"
Olivier Fasel